Guido RENI (1575-1642), d’après. « Saint Sébastien ».
Imposante Huile sur toile. XIXe
siècle.
Très Bel Etat –
(Dim. : 135 x 98 cm)
Reprise du tableau conservé au musée du Capitole à Rome-
Plusieurs raisons peuvent être données de ce choix de Guido Reni concernant son travail sur le martyr de Saint Sébastien. Tout d’abord, c’était l’une des rares occasions dans les récits chrétiens pour peindre le nu masculin (hormis le corps christique, mais qui est un corps mort), ce dernier étant très mal considéré et surveillé par les autorités religieuses. Le nu, accepté dans les représentations mythologiques, l’était beaucoup moins dans les tableaux sacrés. Toutefois, il serait erroné de croire qu’il ne s’agit que d’un jeu et d’une réflexion sur le corps de la part des artistes.
À partir du XVème siècle, de nombreux « Saint Sébastien » sont peints car plusieurs épidémies de peste ravagent l’Europe: Guido Reni de son vivant a pu en connaître deux en Italie, tandis que tout le long du XVIIème siècle, la peste s’acharne dans notre France actuelle. Saint Sébastien, martyr et guérisseur était alors invoqué pour chasser ce fléau. Souvent, les flèches lui transpercent l’aine et l’aisselle, zone du corps où apparaissaient les premiers symptômes de la maladie.
Les regards modernes qui se sont portés par la suite sur ce Saint Sébastien de Reni y ont vu une icône homosexuelle et l’ont interprété par divers moyens. Tout d’abord, l’attitude ambiguë du martyr porte à confusion. Transpercé de flèches, il ne semble pourtant pas en état de souffrance. La bouche légèrement entrouverte laisserait supposer quelques prières ou râles inaudibles et le regard tourné vers le ciel trahirait presque un moment de pure extase. De plus, la flèche est en elle-même un symbole phallique par excellence. Elle est le « symbole de la pénétration, de l’ouverture. […]
De plus, la représentation de Reni, et celle de beaucoup d’autres artistes avant et après lui, ne tient pas exactement compte du récit de Voragine. En effet, Sébastien est censé être un soldat romain, un chef de cohorte; le Saint Sébastien de Guido Reni est plus proche de l’adolescent que de l’homme viril. L’éphèbe prend alors une dimension érotique que certains auteurs ont relevé.
Ce fut le cas d’Oscar Wilde qui, lors d’un voyage en Italie en 1877, vit cette œuvre de Guido Reni. Il écrivit à ce propos: « La vision du Saint Sébastien de Guido, tel que je l’avais vu à Gênes me revint ,un magnifique garçon aux boucles brunes et épaisses,aux lèvres rouges ,attaché à un arbre par ses sinistres ennemis,bien que transpercé de flèches,il lève des yeux pleins de passion divine en de direction de la Beauté éternelle du Paradis qui s’ouvre à lui ». Il ne décrit pas là un homme mais bien un « garçon » dans une pose sensuelle et extatique.
L’artiste et écrivain japonais Yukio Mishima (1925-1970) a décrit dans son roman autobiographique Confession d’un masque la prise de conscience qu’il a eu de son désir homosexuel après avoir été excité face à une reproduction d’un Saint Sébastien de Guido Reni. Cette attirance a même poussé Mishima à se faire photographier dans la pose de l’éphèbe du peintre baroque.
Il est intéressant de constater à quel point cette figure chrétienne a pu produire de la part d’écrivains et d’artistes un nombre important de reproductions, d’imitations, de textes et d’œuvres peintes et sculptées. Il semblerait que l’ambiguïté des sentiments inscrits sur le visage du Saint, entre extase sainte et plaisir de la chair, ait inspiré ces artistes.
Toutefois, il s’agit bien d’un regard moderne posé sur l’œuvre, une dé-contextualisation du Saint Sébastien de Guido Reni. Le sacré a été évincé au profit du corps et de la jeunesse de l’éphèbe.
Le caractère homo-normatif d’une telle représentation.
Saint Sébastien a été récupéré par la communauté homosexuelle principalement pour sa beauté physique mais aussi pour son caractère protecteur. Criblé de flèches et condamné pour ce qu’il est et ce qu’il défend, Sébastien survit. Son iconographie est encore bien présente dans les productions contemporaines, tant pour son aspect fantasmatique mais aussi et toujours en tant qu’icône représentante et protectrice.
Un article de Pauline Grazioli
D’une composition classique et s’inscrivant dans la tradition picturale de son temps, Guido Reni n’aurait probablement pas imaginé que son œuvre, des siècles plus tard, aurait suscité autant de spéculations concernant la sexualité de son saint. Il est pourtant vrai, qu’en tant que spectateur, qu’un attrait certain s’effectue devant ce tableau.
Une fascination mystérieuse s’est emparée de moi la première fois que je l’ai vu: ce corps qui sort de l’ombre qui le capture, ce torse large et lumineux, ce visage où se lit des sentiments divers… autant d’éléments qui m’interpellent encore, qui m’attirent et qui pourtant, semblent tout faire pour ne pas rendre ma compréhension à son sujet aussi limpide que je l’espérais.
1 ANDRE CHASTEL, L’art italien, 1998, Flammarion, p.420-421